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Les fleurs ont longtemps fait partie de l’univers graphique de Nowart avant même qu’elles ne s’inscrivent de manière particulière dans sa démarche. C’est dans une nature généreuse, dans l’Essonne où Arnaud s’installe pendant plusieurs mois en 2003, que la fleur prend un sens nouveau. La période est particulière, l’esprit du peintre est tourmenté par des choix politiques menaçant le social et la culture dans le pays, et par la vie difficile des gens autour de lui. Lucide et révolté contre une certaine catégorie d’hommes, à la peinture des portraits et des personnes, Nowart préférait le jardinage et observer la campagne. L’artiste se souvient : « J’en avais marre de l’humain » ! L’idée de trouver un symbole « positif » universel aux multiples facettes a germé dans ce contexte. Et la fleur poussa avec tous ses paradoxes, au sens propre et au sens figuré ! En effet, Nowart  eut l’étonnante surprise de voir s’épanouir une marguerite en plein hiver sur un bout de bois mort qu’il avait depuis deux ans sur le balcon de son « appartelier » à Clichy. A partir de ce jour est née la « super flower », la signature de Nowart, non sans lien avec d’autres résonances dont le prénom de sa mère, Marguerite.

                                     

C’est le commencement d’une grande aventure artistique et humaine pour le plasticien-vidéaste, encouragé par sa proche amie Caroline, art-thérapeute et peintre elle-même.

 

Selon Nowart, la fleur symbolise la complexité de la nature humaine traversée par la vie, l’amour, la mort, avec ses forces et ses fragilités. La diversité, la différence, la dimension du « vivre ensemble » dans un même espace sont également des notions cruciales qu’il associe au thème de la fleur. Et puis comme le raconte l’histoire de la marguerite trouvée sur son balcon, l’artiste y voit la lueur de la vie quand l’espoir s’éteint. C’est d’ailleurs ces fleurs « rebelles et résistantes » qui poussent dans des endroits improbables qui émeuvent le plus l’artiste. Le travail sur la fleur correspond donc à un véritable cheminement devenu le terreau des événements flowers  pour fertiliser le lien social.  Avec Arnaud Rabier, les fleurs d’une force singulière déploient une énergie belle d’amour. Elles sont  un « liant » qui rassemble pour que la survie s’éclaire de l’espoir,  pour que l’humain ne s’étiole pas en l’homme et qu’il y fleurisse sans fin. Les fleurs de Nowart, sont des pousses d’humanité que chacun a la responsabilité d’arroser.

 

Pour Nowart, l’expérience du rapport humain dans l’art a commencé en Roumanie. En 1993, la ville de Clichy, partenaire d’un projet humanitaire, cherche des volontaires. Dans ce contexte, l’artiste se rend dans un hôpital de Timisoara pour peindre les murs des chambres d’enfants orphelins sidéens. Entre ciels, vagues, et d’autres thèmes, le peintre réalise l’intensité de ce qu’il vit. Créer « pour et avec » les autres ouvre la voie à des projets futurs.

 

Le premier événement « fleurs » s’organise en 2003 autour d’un projet écologique. Nowart passe trois jours sur une plage de Marseille pour concevoir des fleurs en volume avec les détritus refoulés par la mer sur le sable. L’initiative « A fleurs de plage » intéresse les promeneurs, petits et grands, qui mettent la main à l’ouvrage avec l’artiste.

 

L’année suivante, en 2004, Nowart est sollicité comme vidéaste pour un événement théâtral en Afrique du Sud.  Il accepte, après avoir obtenu que soit mis en scène la thématique de la fleur dans le travail prévu avec des enfants et des adolescents sur le sujet sensible de l’apartheid et des drames qu’il a généré. Le plasticien-vidéaste et les deux compagnies de théâtre (« Compagnie des Contraires » et  « Compagnie Mots de Tête ») s’immergent plusieurs semaines à Soweto dans un quartier défavorisé de Kliptown, avec le soutien d’une association locale.

 

Lorsque Nowart ne filme pas la pièce de théâtre en cours d’élaboration, il peint des fleurs et des portraits dans le « township » avec son « flowers crew » (équipe constituée par les habitants du quartier). Ainsi, pendant  qu’un drame historique se joue sur la scène d’une autre génération, tiges, pétales, feuilles, boutons grimpent sur des façades de fortune pour laisser l’empreinte d’une vie foisonnante, rebelle aux traces d’une histoire  douloureuse. Une dynamique se déploie autour de l’initiative, les fleurs deviennent des tisseuses de liens intergénérationnels et interculturels.

 

Le village fleurit de couleurs et de formes éclatantes, les sourires s’épanouissent, des talents artistiques émergent, le tissu associatif s’enrichit et le « flower man » devient le jardinier choyé du lieu. L’expérience humaine est intense, le terrain est fertile. Nowart n’en reste pas là, il revient en 2005 pour développer et poursuivre l’expérience. Cette fois, il part avec une compagnie toulousaine de danse Hip Hop pour laquelle il filme le travail avec les jeunes du quartier. Et la majeure partie du temps, le peintre-graffeur continue à jardiner à coups de bombes, celles qui rassemblent et qui embaument les cœurs.

 

Sur place, les habitants l’associent à Ernest Pignon Ernest dont le séjour a laissé la trace d’une œuvre sur les murs en mémoire à des événements douloureux subis par la population. Nowart connaissait le génie de l’artiste puisque son  admiration pour l’œuvre et la démarche de ce précurseur n’était pas de la veille. Outre l’immense talent graphique d’Ernest Pignon Ernest, Nowart est sensible à « son vrai rapport à l’humain ». Cette qualité de Nowart n’a pas échappé aux sowetans dans le parallèle qu’ils ont fait entre les deux hommes.

 

Enrichi d’une expérience humaine et artistique unique à Soweto, Nowart a l’intuition que l’art pour et avec les autres le conduira encore à l’étranger parmi les fleurs.

 

De retour en France, l’artiste continue à produire (peinture, vidéo, anamorphoses etc.) dans son « appartelier » et à l’extérieur. Sa vie est centrée sur la nécessité d’explorer son art sans limite.

 

Son implication sur le terrain se poursuit. Les fleurs gonflées de vitalité entrent en prison, s’épanouissent dans des lieux de vie de personnes handicapées, et colorent d’humanité des événements associatifs divers,  toujours avec la participation créative de chacun.

 

La complicité artistique avec son ami de longue date, Nicolas, alias « Kil’And », continue d’enrichir la démarche « fleurs ». Il est le « tonton » de super flower, spécialiste des images de synthèse 3 D qu’il élabore avec Nowart pour réaliser les vidéos. 

 

En 2009, Nowart rencontre à Paris une rappeuse chilienne dont il sait déjà le talent. Une dizaine d’années auparavant, l’artiste avait séjourné plusieurs jours à Santiago du Chili pour graffer sur les murs avec d’autres,  sans démarche préalable particulière. Il se liait alors avec les précurseurs chiliens du graffiti. Ainsi il découvre que des graffeuses chiliennes avec lesquelles il communique par Internet fréquentent la rappeuse. Mobilisé depuis toujours  par la culture du Hip Hop, l’esquisse d’un projet lui revient à l’esprit : explorer la place des femmes dans le Hip Hop (rap, graff, danse), « les fleurs du Hip Hop ». L’artiste part à Santiago du Chili avec l’idée de réaliser ce projet là-bas en sollicitant le « crew de filles » qu’il connaissait. Mais une fois sur place, les choses ne se déroulent pas comme prévu. Nowart est déçu, il doit abandonner son projet, il songe même au retour en France. Mais des nouvelles rencontres raniment son élan. Des événements « fleurs » se mettent en place en partenariat avec certaines associations locales. L’artiste peint avec des enfants sur les murs de leur école. Ailleurs, une graffeuse organise un conseil de famille pour débattre d’un projet délicat : peindre sur le mur de clôture de la maison les fleurs préférées de ses parents brutalement décédés dans un drame familial. Le conseil de famille valide l’idée,  Nowart est très ému. Soleil (tournesol) et oiseau du paradis offrent désormais un nouvel horizon à la maisonnée meurtrie. Plus loin, dans une cité difficile, Nowart participe à une œuvre collective avec les graffeuses. Au pied du mur, la communication s’instaure entre les jeunes, les aînés, les policiers et les artistes.     

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Le peintre retrouve l’émulation et l’émotion de la rue autour de ce médiateur exceptionnel qu’est la fleur. Une dynamique est lancée, plusieurs événements ont lieu. L’artiste participe même à un événement international, « le mur de la paix », record du monde du plus grand graffiti, plus d’un kilomètre de mur. Des graffeurs du monde entier contribuent à l’œuvre. Le séjour de l’artiste prend à nouveau du sens. L’abandon des « fleurs du hip hop » a ouvert d’autres perspectives. D’une fleur à l’autre, Nowart a su s’adapter comme sa petite marguerite « rebelle et résistante », son inventivité ne se fane jamais. 

 

Le voyage « flowers » suivant a lieu au Sénégal début 2011. Au départ, le plasticien-vidéaste visait Saint-Louis avec son ami Mesh rappeur et chanteur de ragga, mais les choses se passent une fois de plus autrement.  Ils se retrouvent  à Ouakam où Mesh avait un contact, ami de l’ami d’un ami : Moussa, musicien percussionniste membre de la brigade des baye-fall. Le feeling s’établit rapidement entre les trois hommes en plein marché où le premier rendez-vous est donné. Nowart se souvient d’une belle rencontre dès les premiers instants, « ça a pris tout de suite ! ». La mère de Moussa accueille immédiatement les deux artistes français, en disant à propos des fleurs : « une maison sans fleurs c’est une maison sans enfant. Je serais honorée que vous peigniez ma maison… ». Nowart est ému par ce que lui dit la « mama » !

 

Plus tard, des pêcheurs lui demandent de fleurir leur pirogue. Les deux artistes sont portés par la « bonne énergie » qui leur sourit. Ils sont sensibles à la culture Mouride de Moussa, de sa famille, et de nombreux sénégalais du village. Nowart s’y reconnait dans  les valeurs d’entraide, du « vivre simplement ». Leur façon de vivre « ça correspondait à ma life » comme il le dira lui même !

 

C’est donc à Ouakam que les deux hommes posent leurs valises, le temps de prendre des contacts avec différentes associations d’artistes que Moussa leur présente (théâtre, musique…). Des perspectives s’annoncent, Nowart anticipe la réalisation de projets futurs.

 

Le plasticien-vidéaste n’a qu’une hâte, celle de retourner prochainement à Ouakam avec d’autres artistes dans le cadre d’une démarche pluridisciplinaire autour d’un thème commun lié à l’environnement. Il imagine une campagne de ramassage avec les habitants, le tri des déchets, la création collective d’œuvres… Les fleurs sèment leurs graines, de nouveaux projets bourgeonnent.

 

Le « moteur » de Nowart dans les expériences à l’étranger est le dialogue émotionnel avec les autres. La reconnaissance de l’autre, de soi y prend alors une dimension essentielle. Le partage constitue le terreau des fleurs qui s’épanouissent sous le geste du peintre et dans les initiatives collectives qu’il aime stimuler. Sensible à l’œuvre de Keith Haring, sa démarche « fleurs » rejoint la philosophie du peintre des couloirs du métro New Yorkais : « Toucher la vie des gens de manière positive est l’idée la plus proche que je peux me faire de la religion ».

 

Si l’on regarde l’œuvre de Nowart, il apparaît deux univers, celui de la complexité des êtres, de l’intériorité, à travers les portraits et autoportraits** et celui tourné vers l’extérieur et l’altérité par les fleurs gorgées de vitalité et d’espoir. La rencontre, la collectivité, la diversité, la joie  s’expriment dans les toiles mêlant hommes et fleurs. Les couleurs sont toujours éclatantes dans un ensemble en mouvement suggérant la respiration de la vie.

 

Les contours précis de ses formes végétales individualisent chaque fleur dans un foisonnement fertile et dense. Ainsi, le nombre et la variété crée une multiplicité sans menacer l’identité de chacune. Voici une belle allégorie d’une valeur chère à l’artiste.

 

D’une toile à l’autre, un même type de fleurs apparaît souvent, elle ressemble au « cosmos », fleur d’origine mexicaine de la famille des marguerites.  Le peintre leur donne des formes généreuses et lumineuses, une impression de volume invite à la cueillir. Du point de vue horticole, ce « cosmos » fait le bonheur des jardiniers par ses nombreuses variétés et son penchant pour les sols pauvres et ordinaires. La beauté et l’harmonie de son feuillage et de ses fleurs émergent donc d’une nature sans fioritures. Une fleur qui correspond si bien à Nowart ! Aussi les couleurs que le peintre choisit le plus souvent pour ces fleurs semblent évoquer des éléments fondamentaux du vivant : le bleu comme l’eau et le ciel, le jaune, comme le soleil et la lumière, le rouge comme la terre non sans évoquer le sang qui coule de la même couleur dans les veines de tous les hommes de la planète.

 

Au fil des mots et des idées, « cosmos » nous renvoie évidemment à l’univers. Ainsi  deux notions primordiales se dessinent, celle de la création et de l’origine du monde (cosmologie)  et celle pointant ce qui rassemble et constitue le tout (univers). Des fleurs à l’univers, en passant par la peinture, les symboliques du cosmos nous plongent dans les zones profondes de l’œuvre de Nowart dans sa démarche avec les fleurs et les messages forts qu’elle soutient.

 

La fleur est un message d’humanité qui parle à tous quelque soit la langue, la religion, la couleur de la peau, le travail, le statut social etc. Arnaud Rabier Nowart, ou ARN, avec la complicité des fleurs, instaure du lien entre les personnes, favorise les rencontres comme un messager. Il est étonnant d’ailleurs de constater que les trois initiales de l’artiste, ARN, évoquent la biologie, du côté là aussi de la transmission. En effet, l’ARN transmet dans nos cellules l’information correspondant à des gènes, (on parle d’ « ARN messager ») et fabrique les protéines dont elles ont besoin. La chimie du corps humain offre une belle métaphore pour notre sujet, car donner du sens à l’existence et nourrir chacun dans son rapport au monde, n’est-ce pas là la fonction sacrée de l’art ?

 

 

*publié in Arnaud Rabier Nowart, du graffiti à l’art in space,  Ed. LVE 2014

 

**voir le texte « Bas les masques ! »

 

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